C’est une tactique et une méthode de formation qui a révolutionné le ballon rond, peut-elle faire de même avec le ballon ovale ? Depuis plusieurs saisons, la capacité des joueurs à être performant sur tous les aspects du jeu est devenue une denrée particulièrement prisée. Aujourd’hui, ce prérequis est devenu indispensable dans les meilleures formations du monde, le Stade Toulousain en tête.
“Le rugby, au-delà de l’aspect stratégique et du contenu au poste, une fois que vous avez équilibré ça, le plus important, c'est d’avoir les bons joueurs sur le terrain”, confiait le manager toulousain Ugo Mola au Midi Olympique, en début septembre. Par la suite, ce dernier s’était imaginé pouvoir aligner des internationaux tels qu’Antoine Dupont ou Thibaud Flament à des postes divers et variés.
TOP 14. Stade Toulousain. Antoine Dupont au centre cette saison, plus qu'une folie, une envie En France, l’école toulousaine forme à cette extrême polyvalence dans le jeu courant. Dans son livre Stade Toulousain, l'art du jeu en mouvement, paru en 2023 aux éditions Solar, Gilles Navarro explique que le club cherche constamment à “jouer debout, faire vivre et courir le ballon, ne jamais chercher à l’enterrer, donner du mouvement au jeu, jouer dans le sens”.
Le rugby mondial au diapason ?
Dans une analyse, publiée le 19 septembre par le journal anglais TheRugbyPaper, cette polyvalence s’inscrit alors autour d’une potentielle révolution tactique : le rugby total. Émise par l’analyste Peter Ryan, cette idée se fait en réponse d’une méthode de jeu et de formation qui a révolutionné le football il y a maintenant 50 ans. Portée par l’iconique Johan Cruyff et les formations de l’Ajax Amsterdam et du FC Barcelone, elle consiste en un plan tactique où tous les joueurs effectuent les mêmes tâches, sans distinction de poste.
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Bien évidemment, au rugby à XV, quelques phases de jeu arrêtées sont indissociables à certains postes. En conquête, la première ligne ne peut pas être remplacée par une triplette d'ailiers au gabarit léger. Cependant, dans le jeu courant, cette idée peut-elle émerger ? C’est ici que la polyvalence prend tout son sens, selon Peter Ryan.
La philosophie du « football total » repose sur l'idée qu'il n'y a pratiquement pas de positions fixes. Elle vise à créer des décalages sur le terrain. Bien sûr, un ailier ne peut pas être un pilier, mais vous pouvez vous en inspirer pour la ligne arrière. Les arrières doivent faire des efforts et assurer des garanties solides. La rupture de la ligne d'avantage est cruciale, car elle maintient la défense sur le reculoir. Cela permet à l'équipe attaquante d'anticiper. Le système s'articule autour de la création de décalages clés. Il existe un large éventail de positions sur le terrain, chaque joueur étant chargé d'un rôle spécifique. [...] Toutefois, avec l'évolution du rugby, de nombreux attaquants sont devenus plus rugueux. Les talonneurs et les arrières semblent être beaucoup plus polyvalents que par le passé.” — Peter Ryan (TheRugbyPaper ; 2024)
D’ores et déjà, cette attitude a même été privilégiée au détriment de certains spécialistes. Cette vérité s’est notamment observée avec le XV de France. Notamment, le poste d’arrière s’est définitivement offert à des joueurs complets (Ramos, Jaminet ou Bouthier) et écartant des joueurs de grandes qualités, irréprochables dans des tâches aussi déterminantes que précises.
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Des limites culturelles et géographiques
Cependant, cette polyvalence semble concerner un panel de joueurs variant selon les régions et les types de rugby pratiqués. Ainsi, Peter Ryan émet l’hypothèse que le numéro 10 et 12 pourrait s’interchanger. Une vision très anglo-saxonne du poste, parfois nommé “Five-eighth” en Nouvelle-Zélande et Angleterre, englobant le premier centre et l’ouvreur, sans distinction.
Cependant, ceci s’appliquerait difficilement au plan de jeu français ou sud-africain, par exemple, où les solides Jonathan Danty et Damian de Allende pourraient difficilement prendre la place de leur demi d’ouverture respectif. Pareillement, le poste de numéro 5 semble s’offrir à des gabarits de Golgoth bien définis, en Top 14 et avec le XV de France, depuis plusieurs années, sans que ce modèle soit forcément imité ailleurs.
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En Nouvelle-Zélande, cette hypothèse du “rugby total” peut également se mêler à sa méthode de formation reconnue. Dans le pays du rugby, les joueurs en formation sont classés en fonction de leur poids et non de leur âge, obligeant les joueurs les plus lourds à développer leurs capacités offensives et leurs habilités dans le jeu courant.
Ailleurs en Océanie, le Catalan Franck Boivert est l’un des formateurs historiques ayant posé sa patte dans le rugby fidjien. “Auparavant, j’ai fait des stages avec Pierre Villepreux à Toulouse, donc j’étais nourri de cette philosophie”, nous confiait-il y a quelques mois. En réponse, il a habitué ses joueurs à pratiquer des entraînements dans lesquels les ruck étaient interdits. Ainsi le ballon devait constamment être vivant, obligeant tous les postes à savoir attaquer sans discontinuer.
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Reste à voir si cette méthodologie et cette folie offensive restera l’identité de quelques structures et populations ou si le reste de l’ovalie cherchera à s’y conformer. Pour le football total, si l'idéologie de Cruyff et de ses compères est devenu un incontournable dans les années suivantes, sa pérennisation ne s'est réellement faite que dans quelques bastions. Aujourd’hui encore, le rugby à XV est en pleine mutation et poursuit une mondialisation et une professionnalisation complexe, rendant son avenir compliqué à imaginer.